Ecrivain controversé au style lapidaire et truffé d’anacoluthes, Marguerite Duras avait toutefois la grâce pour disséquer les subtilités du couple à trois. En effet, si L’Amant (Goncourt 1984) et le sulfureux film de Resnais l’ont rendue célèbre, d’autres oeuvres méritent le détour tel Le Ravissement de Lol V. Stein où le désir et l’adultère sont disséqués avec maestria.

L’héroïne qui fascinera Lacan, Lol Valérie Stein, vit au seuil de la folie depuis le fameux soir du bal où son fiancé lui est ravi, sous ses yeux. Un rapt! Le jeu des temps du récit est tragique. « L’orchestre cessa de jouer. Une danse se terminait. La piste s’était vidée lentement. Elle fut vide. » Tout est joué. Lol ne peut qu’assister, impuissante, à l’attraction puis à la naissance du nouveau couple que personne n’ose séparer. Elle paraît se dépouiller d’elle-même pour offrir son amour. Non sans un humour féroce, Frédéric Beigbeder salue la prouesse de Duras: « la salle de bal, cette femme complètement échangiste, stupéfaite et ravie d’être cocue, c’était une belle idée. »

Pulsion scopique

Car le roman, comme nombre de nos histoires, n’est qu’une variation, une fugue – au sens musical du terme – sur ce désir de voir. Lol ne cesse de s’enfermer dans ce schéma triangulaire. Elle hante les lieux de son traumatisme et les champs de seigle d’où elle peut observer une amie d’enfance et son amant, à l’hôtel. Le texte est marqué par le désir de revivre, à travers d’autres, le ravissement, un mot qui sonne comme un attachement, une folie et une promesse heureuse. Un drame touchant beaucoup de rêveurs est au coeur de cette histoire: « Elle aurait voulu que tout recommence. »

Ouverture aux possibles

Dans Hiroshima mon amour, un couple franco-japonais illégitime  vit une passion le temps d’un tournage. Que de mots brûlants! Dont le fameux: « Tu me tues. Tu me fais du bien. »

Dans India Song, la tentation de la fugue est encore omniprésente dans la vie de l’héroïne Anne-Marie Stretter. Chez Duras, pas de jugement moral ni de connotation péjorative: l’adultère n’est pas placé sous le signe de la trahison ou de la faute, mais se révèle plutôt l’expression et la manifestation d’une ouverture sur le monde, une capacité à absorber amours, joies et douleurs. Une expérience relationnelle comme une recherche de soi. Sublime, forcément sublime.

Ecrit par LOLA VS

MARGUERITE DURAS, Le Ravissement de Lol V. Stein, Folio poche n°810
Lire aussi JACQUES LACAN, article Hommage fait à Marguerite Duras, du ravissement de Lol.V Stein, 1955
et ROLAND BARTHES sur le terme « Ravissement » in Fragments d’un discours amoureux, 1977