C’est à travers le prisme de l’histoire d’amour passionnée et tumultueuse entre Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre que Lola VS, membre Gleeden, partage avec nous sa vision de l’infidélité.

Amour nécessaire, amours contingentes

« Je trichais quand je disais, on ne fait qu’un. Entre deux individus, l’harmonie n’est jamais donnée, elle doit indéfiniment se reconquérir. » Simone de Beauvoir, La Force de l’âge.

Arrêter ? Reprendre ? Comme ceux qui tentent d’abandonner la cigarette ou de maigrir, ceux que l’on stigmatise sous le terme « infidèles » semblent gouvernés par l’inconstance. Ils prennent des résolutions puis les piétinent. Ils oscillent ainsi entre discours et attitudes contradictoires. C’est qu’il est si bon d’aimer, d’être aimé, de laisser le corps s’emparer du cérébral. Pourquoi s’en priver ? Revendiquant la plupart du temps la liberté et/ou le plaisir, ils cèdent parfois à la repentance, souvent sous la pression extérieure. Ils avouent alors un vice, une névrose, un « problème ». Le plupart d’entre eux tâtonnent dans leur couple, manœuvrant sans boussole, sans modèle, égarés, malheureux.

Et s’ils marchaient la tête haute et réinventaient avec leur partenaire de vie le pacte de Simone de Beauvoir et de Jean-Paul Sartre ?

Pactiser avec la liberté

Comment s’est construit le célèbre couple de poly-amoureux ? Sur un constat tout d’abord: le solipsisme amoureux. Le plus épanoui des couples tourne en rond. Par confort. Par tendresse. Par dépendance affective, familiale ou financière. On peut s’aimer, se respecter, s’admirer et ne pas rester insensible à ce qui se passe autour de soi. La nouveauté, le désir, l’inconnu(e). Très tôt, le jeune couple de philosophes en fait l’expérience. Un an à peine après leur rencontre, c’est Sartre qui, le premier, jette le pavé dans la mare, proposant sur un banc des Jardins du Louvre un « pacte » renouvelable tous les deux ans. Il distingue ainsi leur amour, « nécessaire », de celles qu’ils pourront vivre à côté, de ci de là, les fameuses « amours contingentes ».

La réalisation d’un pur fantasme bourgeois, jugez-vous ? Bien au contraire. Transposant dans son couple les théories de l’existentialisme – l’homme est condamné à être libre (notamment de ses choix) – il expurge le cocufiage de ses cachotteries, mesquineries et non-dits, pour célébrer une liberté consentie. Il s’agit pour Sartre d’envisager, en même temps que la sienne, la liberté de sa femme.

En pratique, cela donnera beaucoup des croisements hasardeux : des aventures avec d’anciens élèves de l’un ou de l’autre, des conquêtes féminines de Simone passant parfois dans son lit à lui… Le Castor couvre les voyages prétendument communistes avec l’interprète russe, vit des abîmes dans la passion physique, tombe profondément amoureuse d’un Américain tandis que Sartre gère un implacable planning de maîtresses. Leur correspondance porte la trace de nombreuses confidences où pointe un certain sadisme.

Utopie de la transparence

A l’image de ce couple de légende, peut-on rêver de tout se dire ? La transparence rêvée se révèle… assez opaque. Sartre confessera une « morale provisoire », Beauvoir une « morale de l’ambiguïté ». Leur dernière demeure confirme cette ambivalence : s’ils sont enterrés ensemble au cimetière de Montparnasse, proche de l’hôtel Mistral – où ils occupèrent durant la guerre deux chambres séparées -, Beauvoir porte la bague symbolique offerte par son amour américain.
Certes, il y eut des souffrances de part et d’autre et de petits arrangements avec la réalité. Mais qui ne souffre pas ? Avec l’écriture comme ciment du couple, ces chantres des « amours contingentes » auront au moins évité la frustration et su sauvegarder, in fine, un soutien indéfectible.

« (…) il est une chose qui ne change point, ni ne peut changer, c’est que quoi qu’il arrive et quoi je devienne je le deviendrai avec vous. » (lettre de Sartre au Castor)

Ecrit par LOLA VS