Tous les paranoïaques vous le diront : l’infidélité, même fantasmée, met en danger le couple. Ah bon? Vous connaissez l’adage : les gens heureux n’ont pas d’histoire. A ce titre, il est logique qu’on entende seulement parler des malchanceux dont l’infidélité a fait exploser le quotidien / la famille / le compte bancaire. Les autres histoires sont invisibles parce qu’elles sont restées secrètes, c’est-à-dire… fidèles au concept de l’infidélité. Un comble, non ?

Si on s’en tient aux faits purs et durs, la plupart des liaisons ne répondent pas plus à une crise de couple qu’elles ne la provoquent : si le couple était en crise, on se séparerait. Il n’est donc pas absurde d’avancer que la plupart des aventures permettent, au contraire, de maintenir un certain statu-quo. Plutôt que de bouillir de frustration, on s’autorise un en-cas. D’ailleurs, sans vouloir ruiner le moral des troupes : dans la plupart des infidélités, le conjoint est au courant ! (Vous n’êtes pas un ninja.)

Permettez-moi une comparaison avec la nourriture. Ironiquement, la majorité des régimes amaigrissants autorisent un ou deux « cheat days » par semaine (un jour où on relâche la pression et on commande cette pizza douze-fromages qui occupe nos rêves humides) (vous voyez très bien de quelle pizza je veux parler). Personne ne vous demande de faire toujours attention ou de vous restreindre même à Noël ou aux anniversaires. Il est admis que les écarts permettent de surmonter l’effort à long terme : mieux vaut craquer une fois de temps en temps que de renoncer complètement.

Étrangement, ce qui paraît logique en nourriture (une forme de tempérance dans l’auto-contrôle) passe pour hors de propos en amour. Nous entretenons le mythe du « tout ou rien » alors même que les personnes absolument fidèles sont aussi répandues que le loup blanc ou les vœux de chasteté respectés : c’est possible, mais c’est loin d’être la norme.

Cela dit, il serait un peu facile de s’en tenir à l’infidélité qu’on se permet à soi-même. Un concept émerge aux Etats-Unis : celui de la générosité sexuelle. Elle prend la forme de zones de non-droit (« ce qui se passe à Las Vegas reste à Las Vegas »), de fêtes de boulot trop arrosées, de cartes blanches pour un week-end entre amis : « je ne demanderai pas, ne me raconte rien ». Mais aussi de véritables accords qui ne relèvent pas de l’union libre, puisqu’un seul des partenaires est libre.

La générosité sexuelle consiste à autoriser des écarts à l’autre, notamment si on a conscience de ne pas lui offrir les gratifications sexuelles ou émotionnelles dont il/elle a besoin. C’est réaffirmer que le couple est plus fort que les histoires de libido : que le partenariat ne peut pas échouer pour des affaires de coucherie. C’est également affirmer que dans le respect et le consentement, on peut externaliser des aspects de son couple. Dont le sexe. Nous externalisons déjà les taches ménagères quand nous demandons de l’aide, nous externalisons déjà nos enfants quand nous embauchons une nounou. Ici, quelqu’un aidera au niveau sexuel. C’est moins cher qu’une baby-sitter.

Il ne s’agit pas de démissionner. La générosité sexuelle est une décision, elle n’est pas prise par défaut, par oubli ou dans l’indifférence. Elle demande une bonne confiance en soi et en l’autre (justement ce qui est censé fonder un couple…). Il ne s’agit pas d’une solution miracle fonctionnant pour tout le monde, encore moins d’un programme ou d’une injonction. C’est une simple possibilité parmi d’autres.

Mais elle rappelle que l’infidélité peut deux fois sauver le couple : en la pratiquant, en la laissant pratiquer. Double impact.

Maïa Mazaurette