Avec l’apparition des sites de rencontres comme Gleeden, on pourrait penser que l’infidélité s’est banalisé. Qu’en est-il vraiment ?

Psychologies.com – 10 Mars 2013

Complètement décomplexée, l’infidélité ? Non, loin de là ! La preuve : les sites de rencontres extra-conjugales se vendent en garantissant avant tout… la discrétion ! C’est bien le signe que tout cela n’est pas vécu si tranquillement et ouvertement. D’ailleurs, lorsqu’on regarde les chiffres sur l’infidélité en France, et ce que les sondés en disent, on constate qu’elle est encore très largement considérée comme un écart impardonnable et que seule une minorité confie avoir fait. Certains diront que ces sondages ne sont pas révélateurs, parce que les gens n’osent pas avouer leur infidélité. Peut-être, mais même dans ce cas, c’est bien la preuve que ce comportement est loin d’être banalisé !

Infidélité : la fin de l’hypocrisie ?

Les fondateurs de ces sites sont tous partis du constat qu’environ un tiers des personnes inscrites sur des sites de rencontres traditionnels sont mariés. Leur message : grâce à eux, il n’y aurait plus « d’erreur possible sur la marchandise ». Sur ces sites, chacun sait pourquoi il est là et à qui il a affaire. Il n’y a donc plus d’hypocrisie à l’égard des personnes rencontrées. Sauf que l’hypocrisie à l’œuvre dans l’infidélité ne se situe pas tant à l’égard de l’amant ou même, de soi et de ses désirs. Elle se pose surtout à l’égard de son mari ou de sa femme, et à l’égard de la relation. C’est cela que l’on sait trahir lorsqu’on est infidèle. C’est d’ailleurs la conscience de cette trahison qui rend le passage à l’acte difficile. Voilà pourquoi ils ont choisi de lancer ce message : ne soyons plus hypocrites, assumons nos désirs ! Mais il s’agit en réalité une manipulation assez perverse de cette notion d’hypocrisie.

Plus de transparence ?

Tout part d’une volonté de transparence absolue. Car la quête de transparence séduit : dans tous les domaines, elle est devenue très vendeuse, comme si elle garantissait forcément nos libertés individuelles. Sauf que la transparence absolue est un leurre. Les zones d’ombre existeront toujours. Simplement en en dévoilant certaines, on en crée d’autres, plus sophistiquées, plus perverses… Par exemple, rien ne garantit, sur ces sites, que les profils indiqués soient vrais : le grand brun marié de 35 ans qui vous propose un rendez-vous peut tout à fait se révéler être, dans le tête à tête, un petit chauve désespérément célibataire !

Une approche consumériste

L’apparition et le succès de ces sites ne sont pourtant pas surprenants. Cela s’inscrit dans une société toujours plus consumériste et égoïste, qui nous fait croire que le bonheur vient de la satisfaction immédiate et égotique de tous nos désirs, de toutes nos pulsions.

Dans un communiqué de presse de l’un de ces sites, on peut lire cet argument de son fondateur : « grâce à nous, avoir une aventure en marge de son mariage est aussi facile que de commander sa nourriture ou de télécharger des chansons sur I tunes ». On est là dans la relativisation absolue des envies ou désirs : tout se vaut, car tout est guidé par un esprit de pur consommateur. Le désir d’infidélité est mis au même rang que le besoin de manger, ou l’envie d’écouter de la musique. Une musique dont il précise tout de même qu’il faut la télécharger sur un site officiel ; il ne faudrait pas faire la promotion du piratage et tomber dans l’illégalité, voire l’immoralité !

C’est sans doute du second degré, mais cela reste très manipulateur. En même temps, ce n’est pas complètement faux, car du côté de la nourriture, des loisirs et de bien d’autres produits, nous sommes déjà des libertins : puisque nous les consommons à tout va, nous papillonnons de l’un à l’autre sans scrupule… Sauf que tous les objets de notre désir, au sens large, ne peuvent pas être relégués au rang de purs produits !

L’infidélité banalisée ?

Le but recherché semble être de faire de l’infidélité un mouvement du désir parmi d’autres, alors qu’il ne l’est pas. Le désir d’infidélité vous raconte et vous engage plus profondément que le désir de manger une pizza ou d’écouter Lady Gaga ! Mais justement, c’est cet engagement que ces sites proposent d’annihiler. Or en cela, ils sont très infantilisants. Pourquoi ? Parce que grâce à ces sites, on nous propose de ne plus assumer les risques. Toutes nos données seront protégées, la discrétion est garantie : un tiers, le site, vient non seulement cautionner notre acte, mais surtout il en prend la responsabilité. On n’a plus à assumer le poids de son choix. Ce qui est le propre de l’enfance, alors que le passage à l’âge adulte, suppose, au contraire, l’acceptation et la reconnaissance de sa responsabilité…

Séduire pour se rassurer

Pour l’instant, il n’y aurait pas plus de Français infidèles qu’auparavant, mais on peut supposer que ces sites facilitent le passage à l’acte. On a coutume de dire que généralement l’objet crée le besoin. Mais est-ce que cela vaut pour l’infidélité ? Est-ce que c’est un besoin ?

Ce qui l’est davantage, c’est le besoin de se rassurer sur soi, sur son pouvoir de séduction. On peut imaginer que c’est cela, plus que la relation sexuelle, que recherchent beaucoup des adeptes de ces sites. C’est cette fonction renarcissisante qui est recherchée. Finalement, ce n’est pas plus scandaleux de la trouver ici que sur un forum classique où, en confiant ses doutes ou ses problèmes de couple, on stimulera des commentaires du genre : « mais non tu n’es pas vieille, mais oui tu es encore très séduisante, aie confiance en toi, tu verras »…

On est là au premier degré de la renarcissisation, c’est-à-dire que cela rassure un peu sur l’instant, cela peut éventuellement relancer votre libido pendant quelques heures, mais cela ne va pas pour autant vous aider à vivre mieux dans votre couple et avec votre désir. Affirmer que l’envie d’être infidèle ne serait qu’un besoin ou une envie parmi d’autres qu’il suffirait d’assouvir, c’est oublier que nous ne sommes pas que des bêtes ! C’est renier la dimension profondément intime de notre désir, son vécu, son histoire, ses racines… Mais cela, évidemment, ce n’est pas très vendeur !

Anne-Laure Gannac

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